Après avoir été frappé par la crise sanitaire liée au COVID, entraînant fermetures et licenciements, le secteur culturel britannique a dû faire face à un nouvel obstacle : le Brexit. Le 1er janvier 2021, le Royaume-Uni a officiellement quitté l’Union européenne, forçant le marché de l’art et ses acteurs à trouver des solutions. Artsper décrypte pour vous les conséquences directes et indirectes de ce bouleversement majeur.
Des effets commerciaux contrastés
Certains effets ont été immédiats, comme la chute de la valeur des exportations de plus de 700 millions en décembre 2020 à 215 millions de livres en mars 2021. Toutefois, ces chiffres sont vite remontés à un niveau plus normal en juin, à près de 500 millions de livres (OEC). Les Britanniques se sont en effet vite adaptés, aidés par la période de transition d’un an en 2020 qui leur a permis de se préparer.
Le Royaume-Uni est resté toutefois un acteur majeur du monde de l’art au niveau international. Selon les chiffres de l’OEC pour juin 2021, la valeur de ses exportations d’art et d’antiquités est 3 fois supérieure à celle de ses importations, malgré le Brexit. Le pays exporte principalement vers les États-Unis (£133M) et la Suisse (£86,2M). La plupart de ses importations proviennent de ces mêmes pays, et d'autres comme la Chine ou le Mexique.
Malgré le Brexit, le Royaume-Uni continue d’exporter un grand nombre d’œuvres et d’antiquités vers l’Union Européenne, notamment vers l’Allemagne (£65,3M), la France (£53M) et l’Italie (£32,6M). C’est sur ces exportations, mieux mesurées depuis la mise en place de ces nouvelles régulations, ainsi que sur les différents échanges culturels avec l’UE que le Brexit a eu le plus d’impact.
Valeur mensuelle en livres sterling (£) des œuvres d'art, des pièces de collection et des antiquités exportées depuis le Royaume-Uni (RU) de janvier 2020 à avril 2021, par commerce avec l'UE et hors de l'UE.
Sources : Statista, HM Revenue and Customs
La fin de la libre circulation des biens
La conséquence la plus importante pour le secteur culturel est l’arrêt de la libre circulation des marchandises. Cette mesure entraîne nécessairement des difficultés de transport des œuvres d’art du Royaume-Uni vers l’UE et vice-versa. Les acteurs voient ainsi le retour de taxes sur l’importation de biens, et se heurtent à la bureaucratie du système qui leur demande de remplir un plus grand nombre de papiers et formulaires. Bien qu’une majorité du secteur culturel soit habituée aux livraisons à l’international ou vers la Suisse, cela allonge les délais de livraison pour les clients.
La moindre erreur peut avoir des conséquences majeures, et l’entreprise DPD indiquait ainsi que 20% de tous les colis qui avaient été expédiés en janvier, juste après le Brexit, avaient dû être retournés à l’envoyeur.
Pour tenter d’alléger la bureaucratie, le Royaume-Uni a choisi de changer la valeur minimale à partir de laquelle une œuvre nécessite une licence d’export, passant par exemple de 132 mille livres à 180 mille livres sterling pour les peintures.
La fin de la libre circulation entraîne également des coûts supplémentaires pour la réception des œuvres. En effet, les œuvres sont soumises à des frais mais aussi à des contrôles de la douane. Pour les autorités, la préservation des œuvres d’art n’étant pas toujours une priorité, il arrive que des caisses particulièrement encombrantes soient ouvertes pour procéder à des contrôles, ce qui peut endommager une œuvre. Les entreprises de logistique, tout comme les galeries et artistes, doivent donc trouver des solutions pour pallier ce problème, et que l’envoi se fasse rapidement et sûrement.
Article du Guardian traitant des problèmes de transport post-Brexit
La fin de la libre circulation des personnes
Si les biens ne circulent plus librement, c’est aussi le cas des personnes, ce qui pose plusieurs problèmes.
D’abord, il est devenu beaucoup plus compliqué d’embaucher du personnel venu de l’Union Européenne au sein des institutions culturelles britanniques, et inversement. Les procédures administratives sont devenues plus longues, et l’obtention d’un visa n’est pas garantie. Alors que la pandémie a entraîné un certain nombre de licenciements, le secteur embauche de nouveau à mesure que les réouvertures se précisent, mais il leur est bien plus difficile de le faire auprès d’experts et d’employés qualifiés venus de l’UE.
Par ailleurs, c’est aussi une barrière supplémentaire pour les artistes et galeries. Il n’est plus aussi facile de rejoindre des résidences, d’échanger avec d’autres artistes, de participer à des foires ou même simplement de voyager pour trouver de l’inspiration ou enrichir ses connaissances.
La perte de certains avantages
Le Royaume-Uni perd également les avantages qu’il possédait sur le reste de l’UE. En effet, il était auparavant le pays de choix pour importer des œuvres depuis l’international avant de les redistribuer en Europe, car les taxes britanniques étaient moins élevées que dans les autres pays. La TVA s’élevait en effet à 5%, contre une moyenne de 8% pour le reste de l’Union Européenne. Il est désormais plus facile d’importer en France, où la TVA s’élève à 5,5%, plutôt que de payer 2 fois des frais d’importation !
Comparaison des taux de TVA en France et au Royaume-Uni. Source des images : wise.com
Avant, c’était la localisation du fournisseur qui primait, mais, avec la sortie du Royaume-Uni de l’UE, c’est la localisation du consommateur (européen) qui prend le pas. Cela a un impact en particulier sur le commerce en ligne entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne.
Un impact à relativiser
Au début de l’année, certains avançaient déjà que Paris remplacerait rapidement Londres comme capitale européenne de l’art. Et pourtant, la réalité semble bien différente. Le président et fondateur d’Artmarket.com, Thierry Ehrmann, déclarait ainsi pour Artprice :
« Paris n’attire pas vraiment plus qu’avant des chefs-d’œuvre de l’étranger, comme a pu le faire Londres de nombreuses années durant et comme elle continue de le faire. Malgré le Brexit, la capitale anglaise souffle même encore de belles pièces à la France : Christie’s a notamment vendu à Londres le 23 mars 2021 trois pièces maîtresses de la collection parisienne de Claude Hersaint, signées Miro, Magritte et Ernst, pour 31m$ ».
Le Royaume-Uni reste ainsi un acteur majeur du monde de l’art et le 3ème au niveau mondial après la Chine et les États-Unis. Malgré le Brexit, il est peu probable que cette place lui soit volée dans les années à venir.
Une autre tendance qui joue en la faveur des Britanniques est l’engouement relativement récent que connaît l’art digital, et notamment le boom des NFT qui a eu lieu en 2021.
Ce type d’art présente un avantage de taille : pas besoin de se déplacer et plus besoin de livraison. Tout se fait en ligne, ce qui simplifie les procédures administratives et permet au Royaume-Uni d’être autant dans la course que les autres pays.
De nouveaux avantages potentiels
Le gouvernement britannique a tenté de s’adapter à la situation en mettant en place de nouvelles lois, en faveur du secteur culturel. Ainsi, il a décidé de ne pas appliquer les mêmes régulations strictes qu'impose l’Union Européenne sur l’importation de biens culturels d’héritage culturel. Ces régulations servent à lutter contre le trafic d’antiquités en forçant les importateurs à obtenir une licence, pour prouver qu’ils exportent ces biens légalement depuis leur pays d’origine.
Dommages subis par des objets anciens à cause du commerce illicite à Palmyre (Syrie). Source : Wikimedia Commons
Les autorités européennes ont obtenu avec ces lois le droit de confisquer des biens culturels si les papiers n’étaient pas en ordre. Cette réglementation restreint le commerce de ces objets et donne un avantage compétitif à d’autres pays comme les États-Unis pour le commerce d’antiquités. En ne se conformant pas à ces régulations, le Royaume-Uni conserve ainsi sa position dominante.
Le Royaume-Uni a également la possibilité de baisser la TVA à l’importation. Comme expliqué précédemment, elle s’élève actuellement à 5%. Pour devenir un acteur du marché de l’art mondial encore plus important qu’il ne l’est déjà, le pays pourrait baisser cette taxe d’importation pour qu’elle se rapproche aux maximum de celle des États-Unis (0%) ou de la Chine (3%). Le Royaume-Uni pourrait ainsi devenir un vrai concurrent de ces pays, qui sont déjà les leaders du marché.
En conclusion, il est encore difficile d’évaluer l’impact réel qu’aura le Brexit et celui-ci ne pourra être mesuré que dans quelques années. Au-delà de sa sortie de l’UE, le marché britannique suit aussi les tendances qui influencent le marché de l’art mondial, aussi bien que ses propres tendances. Ainsi, le rapport du milieu de l’année 2021 réalisé par Art Basel et UBS notait que les collectionneurs d’art restaient très optimistes vis-à-vis du marché de l’art, et 83% des collectionneurs au Royaume-Uni partageaient ce sentiment. Mais, si dans les pays les plus optimistes, 60% des collectionneurs d’art fortunés comptaient acheter de nouvelles œuvres et ainsi agrandir leur collection, ce nombre tombait à seulement 43% au Royaume-Uni, une exception dans le paysage du marché de l’art.