Alors que nous entrons dans la deuxième année de vie avec l’épidémie, nous naviguons entre les doutes sur l’avenir et les promesses d’un retour à la normale. En 2021, le monde de l’art sera, comme l’année dernière, soumis à d’importantes fluctuations. Dans ce contexte, les solutions alternatives, la prise en compte des mouvements sociaux et la transparence des pratiques commerciales seront les grands sujets de l’année. Décryptez avec Artsper les nouvelles tendances à suivre de près.
1. Quelles réponses immédiates face à une crise sans précédent ?
Quelques mois en arrière, nous n'imaginions pas une seule seconde la tournure que les événements allaient prendre, lorsque l’annonce d’un virus semblable à la grippe se déplaçait rapidement. Aujourd’hui l’impact du coronavirus s’est ressenti tant dans notre vie personnelle que sur l’économie mondiale. Certains secteurs ont été particulièrement touchés, notamment le monde de la culture. Les cinémas, salles de concert, théâtres, galeries d’art et musées ont été fermés puis rouverts à de multiples reprises. Aujourd’hui le futur est incertain, comme l’est la situation des acteurs les plus fragiles de cet écosystème. Néanmoins, la durée de la crise a également forcé le secteur à se réinventer pour proposer de nouvelles formes d'accès à l’art à un grand public confiné chez soi.
La cour déserte du Musée du Louvre le 25 mai 2020
La virtualisation des expositions
La plupart des galeries et musées ont sauté le pas des visites virtuelles pour exposer leurs collections en ligne. C’est le cas du musée d’Orsay, du National Museum ou encore des musées du Vatican. Ces mises en ligne ont rencontré un succès franc pendant les deux confinements. Par exemple, 8,4 millions de visites ont été enregistrées sur le site du Louvre entre le 12 mars et le 21 avril 2020. Si la mise en place de ces expositions virtuelles a représenté des coûts certains pour les institutions, cet investissement s’avérera très certainement utile sur le long terme. Sans oublier que la mise en ligne offre des avantages certains, comme un accès beaucoup plus simple à la culture. Même si les œuvres ne peuvent pas être vues en vrai, leur consultation est désormais ouverte à tous. Elle permet également de mettre à jour une base de données en ligne, recensant toutes les œuvres d’art exposées, ce qui pourrait être utile à l’avenir.
Des concepts de galeries novatrices, mixant réalité virtuelle et réalité augmentée ont même émergé. Par exemple, la plateforme Vortic offre des solutions durables pour exposer des œuvres en XR (Extended Reality ou Réalité étendue). Certes, ce concept est difficile et coûteux à implémenter pour des galeries d’art, c’est pourquoi elles passent généralement par des entreprises spécialisées.
Les plateformes de vente en ligne
Les sites de vente d’art en ligne comme Artsper se sont imposés en 2020 comme de réelles solutions face à la crise. Cet investissement, nettement moins complexe que de développer des expositions en ligne est une façon de continuer à vendre malgré la fermeture des points de vente physiques. D’ailleurs, Artsper permet aux galeries de mettre en avant leurs expositions, de créer des expositions virtuelles temporaires et de bénéficier d’une visibilité importante grâce à un trafic de plus de 500 000 visites par mois sur le site. Avec les confinements et l’augmentation massive du trafic sur sa plateforme, Artsper a vu une hausse de 40% de ses ventes en 2020.
Enfin, l’année 2020 a prouvé l'importance pour les galeries de mettre en place une stratégie digitale efficace, notamment sur les réseaux sociaux. Instagram par exemple, réseau social de l’image par excellence, est devenu un vrai moyen pour les artistes et galeries de toucher les collectionneurs et mettre en avant leurs œuvres.
Des lieux d’exposition atypiques
Les magasins étant quasiment les seuls lieux publics ouverts, grâce à leur statut essentiel, ils sont devenus une alternative aux lieux culturels. Cette tendance à l’installation d’œuvres d’art dans les grands magasins existait déjà avant la crise sanitaire mais elle s’est bel et bien confirmée en 2020. Une tendance forte, qui prospérera en 2021. L’amazone érogène, l’œuvre monumentale de l’artiste Prune Nourry, exposée au Bon Marché, à Paris en est un parfait exemple. Le Bon Marché n’en est pas à son coup d’essai ; d’autres artistes à la notoriété bien établie ont été exposés auparavant, comme Ai Weiwei, Joana Vasconcelos ou Leandro Erlich. Ces installations de grande ampleur donnent une visibilité accrue aux artistes, tout en offrant une image pointue et artistique aux grands magasins les hébergeant. De plus, l'œuvre d’art en elle-même est pensée par rapport à l’architecture atypique de ces structures commerciales. Ainsi, l’expérience client s’en voit améliorée, tout en offrant un écrin public original et ouvert à tous à l’art. La nouvelle année donnera sans aucun doute lieu à d’autres innovations et installations parfois spectaculaires, notamment dans les lieux publics ou en plein air.
L'Amazone Érogène, Prune Nourry, au Bon Marché
2. Les mouvements sociaux de 2020 façonneront 2021
Au début de l’année dernière, alors que la crise sanitaire faisait rage, une vague de bavures policières a enflammé les États-Unis. Les décès de George Floyd, Breonna Taylor et de nombreux autres Afro-Américains lors d'opérations policières ont soulevé les foules et des millions d’Américains ont manifesté. Grâce aux réseaux sociaux, le mouvement Black Lives Matter a dépassé les frontières américaines et s’est répandu dans le monde entier comme une traînée de poudre. Une diffusion qui a entraîné des manifestations d’ampleur dans d’autres pays, notamment dans les grandes villes comme Paris, Londres, Berlin… Des changements structurels ont été revendiqués par les manifestants et les leaders des mouvements, que la scène politique ne peut plus ignorer. Avec l’élection du représentant du Parti Démocrate Joe Biden aux élections américaines, des changements profonds sont attendus dans les quatre prochaines années, qui auront une conséquence également sur le marché de l’art.
L’inclusivité dans le monde de l’art
Bien évidemment, un mouvement politique et social d’une telle importance a des conséquences directes sur tous les secteurs économiques, sans exclure le monde de l’art. Au contraire, le secteur artistique est souvent pionnier en termes de revendications sociales et d’inclusion. De nombreux galeristes revendiquent déjà la volonté de dépasser les aprioris sur les « collectionneurs types » et de s'ouvrir à d'autres profils. Ainsi, les Millenials, ces collectionneurs jeunes, engagés et néophytes sont devenus une part grandissante et influente du marché. Des artistes de différents horizons et origines ont également fait une arrivée remarquée dans certaines collections de galeries prestigieuses ou de grands musées nationaux. Dans le même temps, les débats concernant la restitution d’œuvres d’art spoliés, notamment au continent africain continuent de faire rage tout en faisant évoluer doucement les mentalités.
Manifestation Black Lives Matter à Turin le 06 juin 2020
Les femmes sont également sur le devant de la scène, poussées par le courage et la détermination de certaines d’entre elles, aussi influentes que engagées. Des galeries comme Gallarty présente sur Artsper, créée par des femmes pour des femmes, permettent de mettre en avant des artistes qui autrement n’auraient peut-être pas eu la visibilité nécessaire pour faire remarquer leur talent sur le marché de l’art. D’autres, comme la galerie Addis Fine Art à Londres ou African Arty à Paris, mettent en avant des artistes de la diaspora africaine.
De plus en plus de centres artistiques et musées prévoient des expositions par des artistes issus de minorités sous-représentées dans le monde de l’art, qui reste majoritairement blanc et masculin. En janvier 2021, le Cantor Arts Center de l’université de Stanford aux États-Unis, annonce le lancement de l’Asian American Art Initiative (AAAI) avec une œuvre monumentale de Ruth Asawa et 141 pièces de la Michael Brown Collection. Une des premières en son genre, cette initiative a pour but d’acquérir, préserver, et exposer l’art de la culture asiatique aux États-Unis. Grâce à ces initiatives, le monde de l’art fait un pas en avant sur la question de l’égalité raciale et des genres.
La politique s’immisce dans l’art
Ce contexte fort en revendications et bouleversements inspire de nombreux artistes. Ces derniers prennent régulièrement la parole en utilisant leur médium de prédilection afin d’exprimer leurs opinions. C’est le cas pour Shepard Fairey (Obey) qui défend dans son œuvre les causes qui lui sont chères, comme l'antiracisme, la protection de l’environnement et la liberté d’expression. Tout en respectant son univers graphique et son style caractéristique, le street artiste a réalisé plusieurs fresques très engagées… dont certaines ont d’ailleurs été vandalisées par d’autres graffeurs fin décembre 2020, ajoutant à sa célèbre Marianne des larmes de sang pour protester contre la politique gouvernementale. Lidia Kostanek, elle, d’origine polonaise, évoque grâce à la sculpture les enjeux, attentes et contradictions liées au corps féminin. Certaines de ses œuvres, comme Femme Fontaine sont de puissants rappels que les droits des femmes seront toujours un combat. Un constat d’autant plus actuel que l’avortement a été remis en cause dans certains pays en 2020.
Marianne Pleure, détournement de la fresque Liberté, Égalité, Fraternité d'Obey
Ainsi, la force des revendications sociales joue un rôle moteur sur la diversité générale du monde de l’art, aussi bien du côté des acteurs que des œuvres représentées. Il ne nous reste qu’à espérer que la nouvelle année sera marquée par une avancée vers un horizon d’égalité et d’inclusion.
3. Des pratiques commerciales en pleine mutation
L’urgence de la transparence
Le marché de l’art est l’un des plus énigmatiques car c’est l’un des moins régulés. On se souvient de la rumeur selon laquelle l’œuvre For the Love of God de Damien Hirst, crâne humain recouvert de platine et incrusté de diamants a été vendue 74 millions d’euros en 2007. Les acquéreurs auraient été un groupe d’investisseurs, dont Hirst aurait fait lui-même partie, dans le but de maintenir sa cote en haut du classement des artistes. Ce genre de pratique n’aurait pas eu cours si le marché de l’art avait été contrôlé comme un marché ordinaire. En effet, certains acteurs souhaiteraient que des régulations soient mises en place pour limiter les problèmes vis-à-vis du paiement des artistes. La protection des droits des artistes est nécessaire pour soutenir la production des œuvres. Or, les droits d’auteur et la propriété intellectuelle des artistes sont parfois mis en danger. De plus, les assistants et les artisans de l’art n’ont pas toujours le crédit qu’ils méritent. L’opacité du marché de l’art est donc un problème qui sera très certainement pris à bras le corps en 2021 dans l’objectif d’améliorer les conditions des différents acteurs, d’autant plus que la transparence peut être un vrai plus pour les galeries d’art.
Le monopole des méga-galeries
Une autre problématique, aggravée par le contexte sanitaire, fait parler d’elle dans le monde de l’art : les méga-galeries. Celles-ci cannibalisent les galeries plus petites, sans même en avoir forcément la volonté. En effet, le marché de l’art est marqué par une croissance qui devrait être exponentielle dans les prochaines années. Bien que cette évolution soit globalement positive, elle menace indirectement certaines galeries. Ainsi, les méga-galeries grossissent à vue d’œil grâce à des moyens financiers solides et un réseau ultra développé. Certes, c’est une bonne chose pour la visibilité de l’art dans la culture et la société. En revanche, si 75% des artistes sont représentés par deux ou trois galeries lors d’une foire, en excluant les plus petits vendeurs, alors ce n’est plus sain. La concurrence au sein du marché de l’art peut être menacée par la présence d’oligopoles. Un risque à court-terme pour les plus petites galeries, déjà bien affaiblies par la crise, et à long-terme pour le dynamisme et la diversité du monde artistique.
On peut espérer qu’en 2021 le marché de l’art continuera à lutter contre l’obscurité des pratiques tout en promouvant ce qui fait son essence même : la diversité de la créativité.
La FIAC au Grand Palais en 2019
En conclusion, malgré l’épidémie sous-jacente et les crises sociales et économiques qui se répercutent sur le marché de l’art, de nouvelles perspectives et tendances se dessinent déjà. Les polémiques et problématiques passées ou actuelles ont permis de faire ressortir les défauts du marché de l’art, mais aussi les potentielles solutions à y apporter. Des mesures fortes ont déjà été prises en termes d’innovation, d’inclusion et de régulation. Et vous, quelles sont vos attentes et vos prévisions pour le marché de l’art cette année ?