Intérêt renouvelé pour les foires d'art, succès des maisons de vente aux enchères, afflux de galeries internationales, avantages financiers attrayants… Ces derniers temps, vous avez peut-être entendu - ou constaté ! - que Paris a le vent en poupe sur le marché de l’art international. Artsper décrypte pour vous cette tendance à surveiller de près, et retrace les éléments historiques et actuels qui expliquent le succès de la capitale française.
Paris : une capitale artistique déchue
Au début du 20ème siècle, Paris était le centre du marché de l'art, en Europe et dans le monde. La riche histoire artistique de la ville, sa situation géographique stratégique et son pouvoir d'attraction auprès des artistes et des amateurs d'art en ont fait un hub idéal pour le développement du marché. Les galeristes de la Rive Gauche lançaient les carrières des nouveaux talents à connaître, comme Léonce Rosenberg avec Georges Braque et Fernand Léger, ou Paul Guillaume avec André Derain et Henri Matisse.
Une carte postale du début des années 1900 de l'Hôtel Drouot, l'une des maisons de vente aux enchères les plus importantes de Paris © Collection Léa Saint-Raymond.
Après un exode massif vers Londres et New York provoqué par la Seconde Guerre mondiale, les capitales anglophones sont devenues les pôles artistiques dominants du marché. Paris, est alors apparue comme un acteur lent et peu enclin au progrès, ancré dans un modèle traditionnel. Et les rapports de force n'ont pas vraiment changés depuis. En 2022, les États-Unis occupent la plus grande part du marché mondial (43%), suivis par la Chine (20%) et le Royaume-Uni (17%). Mais si l’on regarde au-delà du podium principal, le vent tourne en faveur de la scène artistique française.
En 2022, le marché mondial de l'art est dominé par les États-Unis, la Chine et le Royaume-Uni, la France arrivant en 4ème place. © Art Basel and UBS 2022.
Le succès des ventes aux enchères
L'importance croissante du marché de l'art à Paris se traduit notamment par le succès de ses maisons de vente. Selon le Conseil des Ventes Volontaires, les salles de ventes en France ont généré en 2021 plus de 4 milliards d’euros de chiffre, soit 20% de plus qu’en 2019. De plus, comme l'a enregistré l’édition printanière de l’Intelligence Report d’Artnet, en 2019, le secteur des ventes aux enchères en France a connu une croissance de 49%, un chiffre qui n'a fait qu'augmenter à mesure que les maisons de vente, nouvelles et existantes, ont continué d’investir dans le secteur.
En octobre 2022, Sotheby’s Paris a généré plus de 75 millions lors de la vente de l’Hôtel Lambert © Louis Blancard, Art Digital Studio.
Les signes sont manifestes. En 2023, Sotheby's prévoit de déménager dans de nouveaux espaces, occupant 3 500 m2 dans la rue du Faubourg Saint-Honoré. La vente de la collection de l'Hôtel Lambert a rapporté à la maison de vente plus de 75 millions d'euros, bien au-delà de son estimation de 50 millions d'euros. Il en va de même pour Christie's, qui s'est installée en 2020 avenue Matignon, aux côtés d'Almine Rech et de Perrotin, qui y ont eux aussi ouvert de nouveaux espaces depuis peu. Selon Cécile Verdier, présidente de Christie's France, « Nous vendons maintenant à Paris des collections que nous aurions envoyées à New York par le passé ». Il semblerait que la capitale française concurrence désormais directement les marchés de Londres et de New York, plutôt que d'être considérée comme un acteur secondaire.
Les salons Christie's sur l'avenue Matignon, une position stratégique et prestigieuse © Christie’s France.
La même tendance se retrouve parmi les maisons de ventes d'origine française. Aguttes et Artcurial, par exemple, ont enregistré des « remarquables performances » au premier semestre 2022, avec des ventes respectives en hausse de 154% et 42% (Artprice). De plus, l'ouverture de la Bourse de Commerce accueillant la collection Pinault en 2021, ou encore de la Fondation Louis Vuitton en 2014, témoignent que les grands noms de l'art français ont suffisamment confiance dans le marché de leur pays pour y investir de manière conséquente.
Plus d'investissements étrangers
Au-delà des maisons de vente, les acteurs internationaux du secteur choississent également d'envoyer à Paris leurs galeries comme leurs clients. David Zwirner, Skarstedt, Mariane Ibrahim, Galleria Continua, White Cube et Gagosian ont tous récemment ouvert des espaces parisiens, et le géant Hauser & Wirth prévoit de les y rejoindre en 2023. Bonhams, maison de vente typiquement britannique, s'est installée à Paris en 2021... en rachetant la maison française Cornette de Saint Cyr, au passage ! Il semble que les entreprises qui privilégiaient auparavant New York ou Londres, se tournent désormais vers Paris comme une option sérieuse pour centraliser - ou du moins, étendre - leurs affaires en Europe.
David Zwirner Paris, une des nombreuses galeries internationales à s'établir à Paris © Smarty.
L'effet Brexit : Paris est devenue « the place to be » !
Disposer d'un espace au sein de l'Union européenne permet de faciliter les transactions avec les clients internationaux, tant pour les galeries que pour les artistes et les maisons de vente aux enchères. Le vote de la Grande-Bretagne en faveur de la sortie de l'UE, qui s'est concrétisé en 2021, a mis fin à la libre circulation des œuvres d'art entre le Royaume-Uni et l'Europe, portant ainsi atteinte à la position de Londres sur le marché. La France offre la solution parfaite pour combler cette lacune de la place européenne. Elle peut se targuer d'avoir des taxes à l'importation d'art particulièrement basses, (5,5% contre 7% en Allemagne, 22% en Italie et 8% en Suisse), et comme le dollar américain est actuellement à son plus haut niveau depuis des décennies par rapport à l'euro, les collectionneurs américains sont motivés à investir. Sur le marché immobilier, même constat : le prix moyen de 12 800€/m2 pour une galerie dans le Marais est avantageux pour une galerie internationale par rapport aux 16 000€/m2 dans l'ouest de Londres.
La renaissance des foires
Les foires d'art sont au cœur de l’ascension de Paris dans le marché international. Et la vedette en 2022 est sans aucun doute Paris+ par Art Basel, qui a fait ses débuts en octobre au Grand Palais Éphémère, remplaçant la FIAC, qui se tenait à cette période depuis 1974. Plus de 150 galeries venant de 30 pays ont exposé à Paris+, sous les yeux de quelque 40 000 visiteurs. Un succès fulgurant pour la première édition de la foire parisienne du groupe suisse, qui compte redoubler d'efforts en 2023.
Paris+ par Art Basel a tenu sa première édition en octobre 2022 au Grand Palais Éphémère, marquant un changement dans le paysage des foires d'art à Paris. © Stephane De Sakutin/Agence France-Presse, Getty Images
La foire s'est déroulée juste après la Frieze à Londres, et les collectionneurs habitués à faire le déplacement en Europe pour l’occasion ont donc pu prolonger leur séjour européen vers la capitale française pour y découvrir Paris+ par Art Basel. Wendy Cromwell, conseillère en art à New York, partage ce sentiment : « Je vais à la fois à Frieze London et à Paris+ parce que je suis susceptible d'acheter des œuvres d'art pour des clients aux deux foires. Le taux de change rend les choses encore plus attrayantes pour les Américains ».
Un public connaisseur et prêt à acheter s'est rendu à la foire d'art Paris+ © Stephane De Sakutin/AFP, Getty Images
En termes de ventes, il semble que Paris+ ait comblé les lacunes de la FIAC. Plus d'une douzaine de transactions supérieures à 1 million de dollars ont été enregistrées, pour des œuvres d'art signées Alex Katz, Christopher Wool ou encore Georg Baselitz. Selon Cromwell, « C'est (Art) Basel, donc la qualité sera au rendez-vous - et c'est la ville lumière, qui est particulièrement étincelante ces jours-ci. Depuis le Brexit, Paris est la ville idéale ». Paris+, ainsi que d'autres foires renommées telles que Paris Photo et Art Paris, attirent une nouvelle vague de clients qui sont prêts à investir lourdement dans l'art.
Paris : la ville des artistes
Paris est, et a toujours été, une ville qui encourage et soutient la créativité. C'est peut-être cet état d'esprit qui lui donne l’avantage sur ses concurrents et qui la propulsera encore plus haut sur le marché mondial de l'art. Comme le souligne Justine Durrett, directrice de David Zwirner à Paris, « la culture et les arts ont une place très spéciale dans la culture française ». Le gouvernement français accorde par ailleurs un soutien régulier aux arts, conscient du potentiel économique et du rayonnement international offert par le secteur.
Un avenir artistique brillant attend la ville lumière © Paul Gaudriault
Des perspectives à suivre de près...
La jonction entre un héritage culturel et des paramètres plus récents - le succès des maisons de vente, les investissements étrangers et bien sûr les conséquences du Brexit - donne au marché de l'art parisien la renaissance qu'il a longtemps attendue.
Certes, quelques années de succès ne sont pas suffisantes pour garantir à une place de marché de prendre définitivement l'ascendant sur la scène internationale. Ainsi, la part de marché de la France est encore faible comparée à celle des États-Unis, de la Chine et du Royaume-Uni. Néanmoins, de nombreux indicateurs sociaux et économiques laissent penser que Paris va continuer sur sa lancée dans les années à venir. Comme le dit Cécile Verdier, « une nouvelle dynamique s'est créée ces dernières années, redonnant à Paris sa place sur le marché de l'art ».
Alors que l'influence de la France croît plus rapidement qu'elle ne l'a fait depuis des décennies, la ville lumière brille avec ardeur sur le marché international de l'art ! Et vous, en tant que galerie ou artiste, comment pensez-vous tirer profit de cette nouvelle donne ?