Le 11 mars 2021, l’œuvre digitale monumentale « The First 5000 days » créée par Beeple pendant plus de 13 ans s’est vendue pour 69,3 millions de dollars chez Christie’s. Cette vente sans précédent fait de Beeple le troisième artiste vivant le plus coté du monde, après Jeff Koons et David Hockney ! Elle marque également le début d’une nouvelle ruée vers l’or et place une question sur toutes les lèvres du monde de l’art ces dernières semaines : qu’est-ce qu’un NFT ? Artsper répond à cette question avant de s’interroger en détails sur l’avenir de l’art digital.
Qu'est ce qu'un NFT ?
Un Non-Fungible Token ou Jeton Non-Fongible est une pièce numérique unique, certifiée par la blockchain. Les NFT sont assurés uniques ou limités par des titres de propriété numérique infalsifiables. C’est un des principes mêmes de la blockchain. Vous vous demandez alors ce qu’est la blockchain ? Pour simplifier, il s’agit d’une technologie digitale de stockage de données, de façon décentralisée. Ainsi les données ne sont pas stockées sur des serveurs fixes dans un endroit unique, mais en ligne. Les informations circulent entre plusieurs ordinateurs détenus par différentes personnes ou groupes de personnes, et pour chaque modification de donnée, l’information doit être vérifiée et validée par la majorité des ordinateurs. De plus les informations sont stockées dans des blocs organisés chronologiquement ce qui permet de tout dater, assurant une transparence inégalable. L’information est donc transparente, sûre et entièrement traçable. Elle ne passe par aucun intermédiaire et est quasiment impossible à hacker ou falsifier. Ces garanties justifient l’intérêt de la blockchain, comme la technologie idéale pour toutes les transactions en ligne. C’est pour cette raison qu’elle est utilisée pour les crypto-monnaies comme le Bitcoin ou l’Ethereum, et par extension pour les NFT. Il existe différentes formes de NFT et les jeux vidéo, le sport et l’art en sont aujourd’hui les domaines d’utilisation principaux. Dans le secteur de l’art digital, les NFT sont généralement des fichiers JPEG ou GIF, c’est-à-dire une simple image, statique ou mouvante, que vous pouvez enregistrer sur votre ordinateur en un seul clic. Dans ce cas, s’il suffit d’enregistrer l’image grâce à une capture d’écran ou si on peut la consulter sur internet à tout moment, quel est l’intérêt de dépenser autant d’argent ? En réalité, quand vous achetez un NFT vous achetez en même temps le titre de propriété de cette œuvre. Quand vous le revendez, vous perdez ce titre. Une capture d’écran n’a pas plus de valeur qu’une reproduction papier ou une photo d’une œuvre d’art physique, en bref, elle n’est pas considérée comme un original et possède beaucoup moins de valeur intrinsèque.
"Lost in a moment" par l'artiste digital Mad Dog Jones
La ruée vers l’or ? Explications d’un phénomène
La vente de la première œuvre d’art numérique par Christie’s a suscité un engouement médiatique incroyable autour de début mars 2021. Pourtant, le sujet des NFT intéresse la sphère internet depuis plusieurs mois déjà et les prémices des NFT datent de 2013. Ainsi, des marketplace dédiées à l’art digital se sont créées ces dernières années comme OpenSea ou Rarible. Cependant la plus utilisée et la plus connue à ce jour est certainement Nifty Gateway. Se procurer de l’art même digital permet d’avoir une sorte de reproduction du marché de l’art « physique » plus transparente et beaucoup plus réactive. Vous pouvez vendre votre œuvre quelques secondes après l’avoir décidé, étant donné qu’il n’y a pas d’intermédiaire et que tout se fait automatiquement avec sûreté. L’appât du gain en a certainement attiré plus d’un. Parfois, la valeur des œuvres sur le second marché (c’est-à-dire à la revente de particulier à particulier) augmente de plusieurs centaines de pourcents en quelques heures. Aujourd’hui, les artistes les plus connus sont Beeple (évidemment), Blake Kathryn et ses projets futuristes et éthérés ou encore FEWoCIOUS et ses œuvres cubistes. Des musiciens ou chanteurs se sont également associés avec des artistes digitaux pour faire des ventes phénoménales, comme la chanteuse Grimes, le DJ Steve Aoki ou même les Daft Punk, juste avant l’annonce de leur séparation le 22 février dernier. Aujourd’hui de nombreux artistes « traditionnels » se tournent vers les NFT, y voyant de nouvelles opportunités. On peut citer entre autres Damien Hirst, Futura 2000, Takashi Murakami ou encore le photographe de mode Mario Testino. En effet, la demande est forte et l’achat de NFT intéresse désormais aussi certains collectionneurs curieux.
"Gods in Hi-Res" NFT de la musicienne Grimes réalisée avec l'artiste digital Mac Boucher
Comment acheter des NFT ?
C’est un fait, les plateformes d’achat et de revente de NFT se multiplient ces derniers temps. Certains de ces sites prennent une commission sur chaque vente. Ils agissent comme une galerie en ligne automatisée, où se tiennent quotidiennement des « drops », c’est-à-dire des sorties limitées (dans le temps et en nombre d’éditions) ainsi que des ventes aux enchères. C’est le fonctionnement sur lequel repose Nifty Gateway. D’autres sites, comme OpenSea, sont simplement des plateformes en ligne permettant aux particuliers de s’échanger des œuvres digitales.
Qui peut vendre des NFT ?
Tout le monde peut vendre des NFT et tout le monde peut en créer. Les artistes peuvent créer des œuvres digitales directement ou alors digitaliser des œuvres physiques en les dématérialisant. Il semblerait que même les possesseurs d’œuvres physiques pourraient en théorie les vendre sous forme de NFT. En effet, un collectif d’artistes, sous le couvert de comptes YouTube et Twitter appelés « BurntBanksy » a brûlé l'œuvre « Morons » de Banksy pour la revendre pour 380 000$, soit quatre fois sa valeur originale, sous forme de NFT ! Enfin, les particuliers peuvent eux-aussi acheter puis revendre des œuvres digitales, sans contrainte de temps, sur les marketplaces. Attention néanmoins à la dévaluation de certaines pièces, car les prix sont très volatiles et difficilement anticipables.
L'œuvre "Morons" de Banksy brûlée par le collectif BurntBanksy en vidéo
Qu’est-ce que les galeries peuvent en faire ?
Certaines galeries commencent déjà à surfer sur la tendance en s’intéressant à la commercialisation de NFT. C’est un investissement qui semble profitable pour le moment et peu risqué s’il s’agit de NFT créés par les artistes qu’ils représentent. Mais, le plus intéressant pour les galeries d’art serait de penser à utiliser la blockchain, plutôt que d’exploiter directement les NFT. En effet, elle repose sur le principe de « smart contract » (contrat intelligent en français), qui établit et simplifie la création et l’échange de titres de propriété. Ceux-ci pourraient être utilisés pour améliorer la transparence sur le marché de l’art. Un smart contract se sert de la blockchain pour les échanges entre un vendeur et un acheteur. Les termes de l’accord sont alors entrés dans la base de données et dès que l’un des acteurs honore les termes du contrat, c’est-à-dire fournit l’œuvre ou paye la somme demandée, le smart contract le conserve, en attendant que la deuxième partie respecte sa part de contrat. Si l’acheteur et le vendeur honorent les termes du contrat, l’échange du titre est effectué et directement enregistré par la blockchain. Ainsi, l’information est immuable, jusqu’à ce que l’œuvre soit de nouveau mise en vente. Il est même possible de vérifier le propriétaire d’une œuvre à n’importe quel moment, puisque les données sont fixées chronologiquement pour toujours.
NFT tiré de la collection "Dreamcatcher" par Steve Aoki et Antoni Tudisco
La face cachée des NFT
Malgré toutes les voix l’annonçant comme « le futur de l’art », il n’est pas garanti que les NFT soient un phénomène durable. L’emballement récent de marché est à prendre avec des précautions, aussi bien pour les galeries que les collectionneurs. Car le principal problème des objets non fongibles est bien que la valeur n’est indexée sur rien ! Leur stabilité est constamment menacée et leur valeur peut s’écrouler à la moindre secousse. La valeur d’une monnaie fongible (comme les billets et les pièces, en euros ou en dollars, par exemple) est indexée principalement sur le cours de l’or. À l’inverse, les crypto-monnaies n’ont en fait aucun index. Des valeurs immenses peuvent être atteintes, mais les fluctuations sont régulières et la bulle peut éclater à tout moment. La méfiance est de mise autour de tous ces phénomènes de bulle et d’engouement pour les produits non-fongibles et dématérialisés. Un autre problème important de l’industrie des NFT est l’impact écologique. Aujourd’hui, le digital est une des causes du réchauffement climatique. Selon une étude indépendante américaine, la simple création d’un NFT représente en moyenne la production de 200 kilogrammes de C02 soit plus de 800 kilomètres réalisés par une voiture. Des études encore incomplètes sur la blockchain révèlent peu à peu les conséquences désastreuses sur le climat, comme la consommation engendrée par le minage des crypto-monnaies, qui menace déjà les objectifs climatiques pour 2021.
Conclusion
Finalement, les NFT sont une innovation indubitable dans le monde de l’art. L’art digital semble être la continuité naturelle de l’art tel que nous le connaissons. Malgré le boom récent des NFT, on peut penser que l’attention des acheteurs, encouragée par les médias, n’est qu’éphémère. Pour les amateurs d’art, les œuvres « physiques » sont irremplaçables et tous les médiums artistiques ont leur valeur, tout comme une sculpture se différencie d’une toile. Ainsi, les NFT sont simplement une nouvelle forme d’art, qui s’ajoute à toutes celles déjà présentes sur le marché et ouvrent de nouvelles possibilités. Des artistes talentueux s’épanouissent déjà dans l’art digital et le monde de l’art contemporain n’a pas fini de se renouveler et de se digitaliser. Sans oublier que grâce aux œuvres non fongibles et à la technologie de la blockchain, le marché s’améliore en termes de transparence et de démocratisation. D’ailleurs, retrouvez dès maintenant sur Artsper de nombreuses œuvres d’art réalisées sur des supports digitaux !