En 2000, le Japon était quasiment absent du marché de l’art mondial. Pourtant, en seulement 20 ans, il a su s’imposer comme l’un des acteurs majeurs du marché asiatique et s’est retrouvé propulsé sur la scène internationale. Depuis 2011, le marché de l’art mondial est resté plutôt stable. Il est estimé à environ 60 milliards de dollars tous les ans, sauf en 2020 où il est descendu à 50 milliards de dollars, soit une baisse de 22% par rapport à 2019 (source : Rapport The Art Market 2021 - Art Basel & UBS). Porté par des têtes d’affiches comme Takashi Murakami ou Yoshitomo Nara, le pays s’est peu à peu hissé dans le top 10 global. Avec un chiffre d’affaires d’environ 23 millions de dollars annuellement, il a aujourd’hui pris la 6ème place sur le marché de l’art mondial.
L'exposition Takashi Murakami à la Fondation Vuitton, Paris, 2018
Les caractéristiques du marché japonais
En 2020, le Japon représentait 1% des ventes mondiales juste après l’Allemagne. Il représente environ 2% du volume vendu en Asie, une part certes faible mais largement compensée par un marché dynamique et assez stable.
En effet, bien que que friands de l’art vendu sur le marché international, les collectionneurs japonais parviennent également à soutenir leur marché intérieur. Le taux d'invendus au Japon est d'environ 20%, alors qu’il est de 34% en moyenne dans le monde : c’est l’un des meilleurs ratios de vente. Grâce à cet investissement dans leur art national, les collectionneurs japonais parviennent à préserver un marché de l’art stable, dynamique, et autonome. Ces habitudes d’achat ont été particulièrement salvatrices pendant la crise du COVID. En effet, contrairement aux autres pays, le Japon dépend essentiellement des collectionneurs japonais pour soutenir son propre marché. Ainsi, il n'a enregistré qu’une baisse de 14%, contre plus de 30% dans des pays comme les États-Unis ou la France.
Au Japon comme dans les salles de vente internationales, c’est l’art contemporain, et particulièrement celui d’après-guerre qui intéresse le plus les acheteurs japonais. À l’étranger, le marché de l’art japonais est porté par quelques artistes très célèbres. Le record de Murakami est toujours My Lonesome Cowboy, vendu pour 15 millions de dollars en 2008. Nara a cependant dépassé ce record avec Knife in the back, vendu pour un peu plus de 25 millions de dollars en 2019, faisant de lui l’artiste japonais le plus cher.
Ces artistes tendent à se diversifier et adoptent de plus en plus les nouvelles technologies. Ainsi, Murakami avait envisagé de se lancer dans la vente de NFTs avant de se raviser quelques jours plus tard, pour mieux réfléchir au meilleur moyen d’exploiter cette technologie. Des entreprises de blockchain tentent par ailleurs de régler les questions légales qui se posent encore afin de rassurer les collectionneurs japonais, qui sont de plus en plus intéressés par ces nouvelles formes d’art.
Un collectionneur japonais se démarque des autres : Yūsaku Maezawa. Le 18e homme japonais le plus riche est connu pour son excentricité, il devrait ainsi faire un séjour dans l’ISS avec SpaceX en décembre de cette année. Mais il est aussi l’homme qui a fait battre des records à Basquiat, en achetant en 2017 un de ses tableaux pour 100 millions de dollars.
Studio de Yoshitomo Nara, photographie de Takako Oishi
Tokyo, future capitale de l’art asiatique ?
L’Asie est devenue une plaque tournante très importante pour la vente d’art. Même si elle n’est pas au niveau de Hong Kong ou de Pékin, Tokyo est une ville très dynamique sur le marché de l’art mondial. En 2019, elle est devenue la 5ème ville mondiale en termes de volume de ventes.
Au début des années 2000 naissent à Tokyo les premières galeries comme Tokio Koyama, ou la très connue KaiKai Kiki Gallery, la galerie de Takashi Murakami fondée pour son collectif éponyme. Depuis, de nombreuses galeries venues de l’étranger s’y sont installées : c’est le cas de Perrotin qui a développé son antenne tokyoïte en 2017.
Les foires d’art y sont nombreuses, mais la plus connue reste Art Fair Tokyo, qui est à la fois la plus ancienne et la plus importante de toutes. Elle possède un avantage particulier par rapport aux foires d’art européennes et/ou américaines. Contrairement à celles-ci, elle n’est pas spécialisée dans un mouvement artistique en particulier. Elle inclut tous types de techniques, certaines datant d’il y a plusieurs siècles, et d’autres utilisant de la technologie très moderne.
Ces nouvelles technologies ont de grandes chances de bien se développer au Japon, pays très avancé sur ce point, et c’est dans cette ambition qu’a été développé CrypTOKYO. Cette exposition physique de NFTs, une première en son genre au Japon, a lieu en juillet 2021 à Tokyo.
Art Fair Tokyo 2011, photographie de Héctor García
5 artistes japonais à connaître absolument
Murakami et Nara sont certes, très célèbres, mais ce ne sont pas les seuls artistes à connaître lorsqu’on parle du marché de l’art japonais.
1. Yayoi KUSAMA
Kusama puise son inspiration dans les hallucinations, qu’elle vit depuis l’enfance. Elle utilise plusieurs médias comme la peinture, la sculpture ou l’écriture et aime représenter des pois ou des taches. Ses œuvres sont très colorées et vives, et son style reconnaissable entre mille lui a valu de devenir l’artiste japonaise la plus cotée au monde. Avec un produit de ventes annuel d’environ 103 millions de dollars, elle est aussi la femme la plus performante aux enchères.
2. Léonard Tsuguharu FOUJITA
Foujita s’est fait connaître pour son style de trait d’encre noire sur fond blanc laiteux, alliant, selon lui, « la rigueur du trait japonais à la liberté de Matisse ». Ami avec les plus grands noms des Années Folles tels que Picasso ou Chagall, il tire son influence des maîtres comme Michel-Ange ou Rodin. Foujita est lui aussi un artiste pluridisciplinaire. Nombreuses sont les techniques qu’il utilise : gravure, dessin, peinture, photographie, mode, et bien d’autres encore. Son record ? 9,3 millions de dollars en 2018 pour La fête d’anniversaire. Et pour obtenir une de ses œuvres, mieux vaut se rendre au Japon, qui a représenté 38% des transactions pour les œuvres de Foujita en 2020, contre 26% en France.
3. Hiroshi Sugimoto
Photographe connu dans le monde entier pour son excellente technique et ses séries à thème, Sugimoto explore la proximité de la photographie avec la réalité et la perception de cette dernière par l’être humain. Il reproduit à travers son art une illusion de la réalité et fait ressusciter des personnages historiques. Il collabore encore aujourd’hui avec de grandes marques et est exposé dans les plus grands musées (Met, Moma, Tate, etc.).
4. Kazuo Shiraga
Tout comme Kusama, Shiraga a été très marqué par la Seconde Guerre mondiale. Artiste avant-gardiste, il commence dans le groupe « zero-kai ». Ce groupe est rallié derrière une devise : « L'art doit partir du point zéro absolu et se développer selon sa propre créativité. » Il rejoint ensuite son groupe successeur, le Gutaï. Il peint dans des positions surprenantes, debout, attaché à une corde, et utilise souvent son corps comme lors de faux combats ou en hachant des arbres. Il devient ainsi l’un des premiers artistes célèbres de la performance. Très populaire en Europe dans les années 2000, sa première œuvre à dépasser le million de dollars s’est vendue à Paris en 2007. Un de ses records de vente s’est aussi fait à Paris en 2015, une de ses peintures étant partie pour plus de 5 millions de dollars.
5. Chiho Aoshima
Protégée de Murakami, Aoshima fait ses premiers pas dans le collectif Kakai Kiki. Inspirée par l’animation japonaise, les mangas et la culture populaire japonaise en général, elle utilise le dessin digital pour modifier ses croquis et les imprime ensuite sur divers matériaux. Elle anime même parfois ses œuvres et crée des vidéos pour les mettre en scène. Son univers coloré puise dans le folklore japonais et dans la modernité actuelle pour poser des réflexions sur l’être humain et sur le progrès. Elle est représentée par le collectif Kakai Kiki et la galerie Perrotin.
Building Head Chameleon, Chiho Aoshima, galerie KUMI Contemporary
Par sa résistance à la crise, le marché de l’art japonais a su montrer que malgré sa taille, c’est un acteur à ne pas négliger. Les artistes japonais sont de plus en plus populaires à l’étranger. Iwamoto Masazaku, Seiki Kuroda, Matazo Kayama, Taikan Yokoyama, Tetsumi Kudo, nombreux sont les artistes japonais dont les œuvres s’arrachent pour plusieurs centaines de milliers, voire millions, de dollars. Et les têtes d’affiche continuent de vendre mais aussi de collaborer pour des expositions dans les foires et les musées occidentaux. Ainsi, toutes les places disponibles pour l’exposition de Kusama au Tate ont été achetées jusqu’en octobre 2021, et Murakami a été choisi pour construire une impressionnante sculpture pour la New York Outsider Art Fair.