Artsper a rencontré Joël Knafo, propriétaire de la galerie éponyme située rue Véron aux Abbesses, un quartier qu’il veut investir pour y créer une émulation artistique en association avec galeristes et acteurs culturels. Il met un premier pied dans le monde de l’art en agence de communication où il est à la fois organisateur d’événements et directeur artistique d’expositions et performances de street artistes. Il inaugure ensuite sa propre galerie en 2014 et y développe une pratique du métier très influencée par le digital et s'intéresse à la dynamique croissante du marché de l'art en ligne. Entretien.
Quelle place occupe le digital dans la pratique de votre métier de galeriste ?
Je n’ai aucun secret sur ma stratégie. De ce que je sais aujourd’hui sur le fonctionnement du marché, j’ai besoin de différentes approches en distribution. En premier, la galerie est un point important, les foires sont un 2ème point et l’online un 3ème point. Il faut savoir que sur chaque point, je ne touche pas les mêmes personnes. Je mets actuellement ce modèle en place et il me semble qu’il fonctionne pour moi aujourd’hui.
En galerie, je fais mon métier de galeriste traditionnel, je mets en avant les artistes que je représente et les soutiens, je crée des projets, avec mes collectionneurs, avec un réseau. Ensuite, je me dois de montrer les œuvres, de les sortir de la galerie. En foire, je touche un autre type de collectionneurs, j’acquière une portée plus internationale. Si je me suis intéressé au digital, c’est après avoir identifié un certain nombre de leviers et un certain nombre de freins.
"Je fais partie de ceux qui croient énormément au online."
Comment définissez-vous la particularité de la dynamique de vente d’art en ligne ?
Ce que je retiens de toute la communication que j’ai pu faire c’est le fait d’avoir eu des points de contact. Il est important de plus toucher les gens, plusieurs fois, de plusieurs façons sur un même sujet. À mon avis, c’est en ayant vu plusieurs fois une œuvre ou un artiste, qu’un collectionneur se décidera à l’acheter. Le coup de folie doit exister mais il est souvent lié à une expérience qui est multiple et qui vient de plusieurs canaux. Il faut que je touche les gens plusieurs fois, il faut que je les touche pour de vrai, sur des salons ainsi qu’en virtuel.
Pourquoi croyez-vous autant en le marché de l’art en ligne ?
J’y crois énormément parce que j’ai constaté le pouvoir du numérique dans d’autres domaines, notamment le monde du luxe qui avait des réticences majeures à la digitalisation. Au début des années 2000, les grandes marques ne voulaient pas se digitaliser, pourtant toutes les études montraient que le potentiel était réel. Elles ont alors attendu puis quelques marques américaines ont commencées à lancer leurs collections sur internet et il y a eu un effet d’entrainement du secteur du luxe sur le web. Il faut savoir que c’était inconcevable il y a 10 ans.
Pensez-vous que beaucoup de galeristes ont le même ressenti que vous sur le marché de l’art en ligne ?
Non, je ne pense pas. Quand je discute avec des galeristes de ma présence en ligne, je constate que beaucoup sont frileux et pour plusieurs raisons. Ils ont d’abord besoin de dépasser un problème d’image. Ils ne savent pas se positionner sur un marché en ligne dont ils ne connaissent peut-être pas les codes. Je constate également une réticence sur la transparence des prix, il n’y a plus de confidentialité. L’artiste que représente la galerie peut également être un frein à la digitalisation car lui aussi veut garder le contrôle sur son image.
Différenciez-vous les ventes de vos collectionneurs sur Artsper de celles que vous réalisez de visu en galerie ?
Que l’achat soit sur Artsper me convient. Je constate qu’en termes de tranquillité, les acheteurs sont sécurisés sur votre plateforme. Aujourd’hui, j’en arrive à me dire, j’ai un certain type d’œuvres et d’artistes qui ont leur place online et d’autres qui ont leur place sur l’un de mes murs dans la galerie. Sur certains types d’œuvres, notamment les print et les livres, il peut y avoir une jonction quel que soit l’artiste : je peux le proposer online et en galerie également.
"Je pense qu'internet a un mode de fonctionnement particulier. Online tu ne trouves que ce que tu cherches."
Les œuvres sont au cœur de notre communication, que pensez-vous de cette stratégie ?
Il faut en effet mettre les œuvres en avant… Non, en fait il faut mettre les artistes en avant. La première clé d’entrée ce sont les artistes. On cherche d’abord un artiste, on achète ce que je peux appeler "de la valeur sûre" sur internet. C’est encore plus flagrant qu’en galerie : des noms qui veulent dire quelque chose. Parce que le risque d’acheter quelque chose dont je ne connais pas le travail de l’artiste, dont j’ai une photo d’une qualité moyenne, dont je ne me rend pas compte de ce que ça va donner visuellement, en matière, en volume, en relief, il y a plein de chose que l’on ne peut pas évaluer online. À un moment donné, on va donc acheter quelque chose qu’on connait, je l’ai déjà vu ailleurs, je sais quel est son travail, je sais donc que je n’achète pas un faux.
Certaines œuvres apparaissent comme vendues sur votre catalogue en ligne. Est-ce un choix ?
En effet, cela peut faire regretter à certains de ne pas l’avoir acheté. C’est aussi un risque, mais cela pousse le collectionneur à ne pas rater la prochaine occasion. Il y a aussi des pièces emblématiques du travail d’un artiste que je laisse visibles sur la plateforme. Cela permet de montrer le travail d’un artiste. Je considère Artsper comme une vitrine supplémentaire pour les artistes que je représente. C’est une vitrine globale qui se veut cohérente.
Kenza Zidi