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Le monde de l'art devrait-il s'ouvrir au design ?

19 juillet 2022

Le design et l’art sont des disciplines bien distinctes, même si elles se ressemblent en de nombreux points. Et si le design est généralement inclus dans le marché de l’art, un objet de design et une œuvre d’art sont traités différement selon leur nature. Ainsi, ils sont consciemment maintenus à distance. Mais si l’on considère le sujet d’un point de vue de l'acheteur, les différences s'estompent… En effet, ils ont des propriétés similaires et sont souvent appréciés et collectionnés par les mêmes personnes. Alors, le monde de l’art n’aurait-il pas tout intérêt à s’ouvrir au design ? Explorez avec Artsper les raisons qui poussent à un tel raisonnement mais aussi les questions qui demeurent !

Le design et l’art ont de nombreux points communs

La sculpture / baignoire Hippopotame I de François-Xavier Lalanne, entre art et design © Les Arts Décoratifs / Photo : Christophe Dellière © Adagp, 2022

Le facteur le plus utilisé pour différencier une œuvre d’art d’un objet de design, c’est l’existence d’une contrainte extérieure au moment de la création. Un designer répond à une question, solutionne un problème, rend possible une utilisation… Tandis que l’artiste crée pour faire passer un message, pour transmettre une émotion, ou même simplement pour l’acte de créer. L'artiste n'a aucune obligation quant à la fonctionnalité ou l’utilisation de son objet final.

Toutefois, les lignes entre art et design sont souvent floues. Certaines œuvres d’art ont une fonctionnalité, et certains objets de design, eux, sont purement décoratifs. Les deux disciplines sont parfois si proches qu’il est impossible de déterminer où exactement se trouve la frontière qui les sépare. Mais a-t-on réellement besoin de les délimiter si clairement ? Après tout, le designer a une vision artistique et l’artiste est nécessairement designer...

Le design et l'art plaisent aux mêmes acheteurs

Une œuvre de Damien Hirst côtoie une paire de fauteuils d'Hugues Steiner et une table de Jean-Marie et Marthe Simonnet dans une maison du Connecticut designée par Joe Nahem. © AD Magazine / Photo: Simon Upton.

L’art est parfois considéré comme étant plus « intellectuel » que le design, du fait qu’il existe pour lui-même et sans fonctionnalité inhérente. Mais la connaissance jugée nécessaire en art s’applique également au design. Ce dernier a aussi évolué avec l’histoire, s’inscrit dans des cultures visuelles et répond à des iconographies et des styles bien spécifiques. Repérer ou juger un objet de design à grande valeur demande les mêmes facultés que pour l’art : un œil entraîné, une bonne analyse visuelle, mais aussi des connaissances de l’histoire ainsi que des tendances du marché.

L’art et le design sont tous deux des produits de luxe, sujets à des considérations très similaires. Pour un non-initié, la popularité d’une toile de Lucio Fontana peut paraître aussi absurde que le prix d’un unique fauteuil de Jean Prouvé. En effet, ce ne sont pas la noblesse des matériaux ou le nombre d’heures de labeur qui justifient le prix de ces objets, mais plutôt des éléments maîtrisés par les experts : le contexte historique, le statut de l’artiste, l’intérêt des collectionneurs pour ce dernier en particulier, ou pour le mouvement dans lequel il s’inscrit…

Une toile de Joan Miró, Le Passage de l'oiseau-migrateur, vendue à 6,845,750€ (gauche) et un heurtoir de porte en bronze signé Diego Giacometti, vendu à 151,200€ (droite) à la vente Hubert de Givenchy à Paris, en juin 2022. © Christie's

L’art et le design sont collectionnés en tandem, et pour le comprendre, il suffit de jeter un œil aux enchères de collections familiales : celles du couple Krakoff chez Sotheby’s New York et d’Hubert de Givenchy chez Christie’s Paris, pour n’en citer que deux, ont obtenu des résultats stratosphériques et même atteint de nouveaux records pour le design. Au-delà de l’intérêt pour la prestigieuse provenance des lots, ces ventes démontrent surtout une grande appétence des collectionneurs pour un catalogue associant le meilleur de l’art et du design, ces derniers étant habituellement séparés dans des ventes dédiées.

Le design et l'art répondent aux mêmes motivations

La chaise longue Lockheed Lounge Chair par le designer Marc Newson a battu le record d’enchères pour un designer vivant lorsqu’elle a été vendue pour 2 434 500£ chez Phillips à Londres en 2015. © Phillips

Commençons par le statut : un canapé signé par un grand designer apporte un certain prestige à l’acheteur, au même titre qu’une œuvre d’art d’un artiste reconnu. Ces acquisitions sont preuves de bon goût, d’un esprit connaisseur, et peuvent permettre de se faire valoir auprès de pairs amateurs.

Un autre facteur peut motiver l’achat d’art comme d'objet de design : le soutien à la jeune création. En effet, un collectionneur peut avoir à cœur de soutenir un.e jeune designer tout comme un.e jeune artiste plasticien.ne.

Il peut s'agir d'un coup de cœur bien sûr… Ou alors d'un investissement : un objet de design, comme une œuvre d’art, est un placement financier qui prend de la valeur avec le temps. Armé de bonnes connaissances du marché, un collectionneur peut opter pour le design tout autant que l’art pour étoffer sa collection et faire un bon investissement.

Enfin, le design et l’art sont tous deux voués à faire partie d'un intérieur, à prendre place sur un mur ou à meubler un salon. Cette dimension décorative rend évident pour tout potentiel acheteur d’avoir accès à un catalogue alliant design et art.

La valeur du marché de l'art mondial de 2007 à 2021, en milliards de dollars US (gauche) et la valeur du marché de design et mobilier de luxe de 2012 à 2021, en milliards d'euros (droite) © Statista

En comparant les marchés de l’art et du design sur la dernière décennie, on constate que le premier a une tendance fluctuante selon les années, tandis que le second connaît une croissance stable. Certes, les montants sont plus élevés dans le domaine de l'art. Mais cette tendance illustre peut-être que le mobilier design est perçu comme un investissement plus concret, moins volatile que des œuvres d’art ? Quoi qu’il en soit, ce marché prometteur n’a pas l'air prêt de s’arrêter.

Le design et l'art sont vendus par les mêmes acteurs

Le catalogue d'objets de design de la marketplace Artsper

De nombreux acteurs du marché ont compris que les affinités entre l’art et le design rendaient leur association plus qu’avantageuse. En chef de file ? Le PAD, qui rallie art et design depuis des années dans les grandes villes du monde, et qui a connu un franc succès lors de son édition parisienne 2022. Mais aussi le groupe international Art Basel, qui associe les événements dédiés Design Miami/ et Design Miami/ Basel à ses foires titanesques chaque année.

Le marché digital s’est aussi mis à la page : différentes plateformes proposent aujourd’hui à leur clientèle de découvrir des peintures d’artistes célèbres aux côtés de fauteuils signés. Suite à une demande croissante de la part des galeries comme des collectionneurs, par exemple, Artsper a ouvert son catalogue aux objets de design en début d'année 2022. Pour tout amateur, désormais, des luminaires, assises ou des objets d’art de la table sont à portée de clics. C’est également le cas chez Singulart - et chez Selency qui, de son côté, a étoffé son catalogue de mobilier et de design pour inclure des œuvres d’art.

Entre design et art, des créateurs qui mêlent habilement les deux

L'étonnante Brushstroke Chair et son ottoman signés Roy Lichtenstein, 1986-8 © National Gallery of Art, Washington / Photo : Wikiart

Il suffit de voir une œuvre Falling Clock de Daniel Arsham ou un fauteuil d’Anacleto Spazzapan pour comprendre que l’art et le design ne font parfois qu’un. Et ces deux artistes ne sont pas les seuls à brouiller les définitions entre les deux disciplines… Ce ne sont pas les premiers d’ailleurs : le travail d’Alberto Giacometti, par exemple, apparaît autant dans les ventes d’art moderne que celles dédiées au design. Et avant lui, Calder et Dalí avaient déjà designé des porte-cigarettes et des jeux d’échecs ! Ainsi, les artistes contemporains collaborent avec des marques de design, et les designers créent des œuvres d’art. Dans ce cas, pourquoi maintenir les deux sphères distinctes et séparées alors que leurs créateurs eux-mêmes les traitent de manière fluide ?

L’art et le design de demain, main dans la main ?

Dans un monde où les acheteurs apprécient d'avoir accès à tout, rapidement et facilement, il semble naturel d'offrir du design aux côtés de l’art. Surtout que la cible visée pour une paire de fauteuils Ginkgo de Claude Lalanne n’est pas différente que celle qui recherche une toile de Georges Braque… Les vendeurs comme les acheteurs bénéficieraient de pouvoir naviguer les sphères et l’art et du design en une expérience unique et enrichie. Et vous, avez-vous déjà pensé à vous ouvrir au design ?