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Comment la communauté noire a révolutionné le monde de l'art en 2021 ?

23 décembre 2021

En 2020, le mouvement Black Lives Matter a jeté un coup de projecteur sur un problème sociétal pourtant ancien, l’oppression des populations noires aux États-Unis et dans de nombreux autres pays. Il s’agit non seulement d’une discrimination, mais également d’une forme de racisme passif et ordinaire, où la communauté noire est systématiquement sous-représentée. Le monde de l’art, comme pratiquement tous les autres secteurs, a laissé de côté pendant longtemps les artistes, les collectionneurs et les galeries de la communauté noire. Pourtant, les mentalités évoluent. Une prise de conscience bienvenue, qui s'accompagne d’une représentation croissante de la communauté noire dans le monde artistique, où son impact est positif et significatif.

I. Les artistes

L’art africain a longtemps été mis de côté ou alors simplement réduit aux arts premiers. Il aura fallu attendre le 21ème siècle pour que son aspect contemporain et ses autres formes soient intégrés dans le circuit de l’art international et dans les places majeures comme Londres ou New-York. Aujourd’hui, la communauté noire est installée aux quatre coins du monde et son inspiration, qu’elle soit pop, africaine, ou classique commence à recevoir la reconnaissance qu’elle mérite.

Bien sûr des figures majeures de l’art se démarquent, mais elles restent une minorité face à l’immense majorité d’artistes blancs masculins présents dans les musées. Les plus connus sont Jean-Michel Basquiat, Kara Walker, Gordon Parks ou Augusta Savage.

Jean-Michel Basquiat © Lee Jaffe/Getty Images

Les expositions sont aussi minoritaires : le Metropolitan Museum a organisé 8 expositions dédiées à des artistes noirs sur les 10 dernières années alors que 40 expositions sont organisées chaque année. Cependant, ce célèbre musée new-yorkais a récemment acquis environ 200 œuvres d’artistes noirs pour sa collection permanente.

La représentation des artistes noirs dans l’histoire de l’art est limitée, voire absente. Or, il est extrêmement important de les intégrer dans l’éducation des étudiants car cela revient sinon carrément à nier une partie entière de l’histoire de l’art. En effet, le Black British Art Movement a duré plus longtemps que l’ère préraphaélite et le fauvisme réunis ! Il est primordial pour les jeunes de chaque communauté de pouvoir s’identifier à des acteurs majeurs d’une discipline, afin de trouver l’impulsion qui les poussera à se lancer dans une passion. Mettre en lumière l’histoire de l’art noire ne peut qu’enrichir les productions artistiques de la communauté noire actuelle, et pas seulement. Si certains artistes noirs sont parfois récompensés comme Lubaina Himid lors du prix Turner 2017, il reste encore bien du chemin à parcourir.

Ces dernières années, des initiatives ont été prises par une minorité d’acteurs pour mieux représenter les artistes de la communauté noire. Par exemple, le fait de dédier des fonds spécialement à l’achat de leurs œuvres, de remplacer des œuvres d’hommes blancs par celles de femmes et d’artistes de couleur, d’engager des conservateurs consultants… La situation s’est légèrement améliorée mais de nombreux progrès restent à faire. En 2018, 80% des postes à responsabilité dans des musées sont occupés par des personnes blanches.

Il est important de noter que la culture noire est extrêmement riche et tire ses inspirations autant de ses origines africaines que de la pluriculturalité des pays dans lesquels elle a pu se développer. Occultée pendant plusieurs années, elle apporte un vent de nouveauté, de fraîcheur et un sentiment d’avancée dans un monde de l’art parfois stagnant. Les productions artistiques de la communauté noire jouent un rôle clé sur le dynamisme du secteur.

Cependant, d’autres acteurs ont un rôle à jouer pour que ces artistes soient reconnus, cotés et diffusés, il s’agit des professionnels de l’art, et notamment des galeries.

II. Les professionnels du monde de l'art

Que ce soit l’année dernière ou cette année, vous avez certainement déjà eu l’occasion de voir des articles mentionnant les « black-owned galleries », c’est-à-dire les galeries créées et dirigées par des membres de la communauté noire. En effet, suite aux mouvements sociaux aux États-Unis et à la crise sanitaire, de nombreux lieux se sont retrouvés en difficulté. Des listes de galeries, de commerces ou d’entreprises de la communauté noire sont alors apparues pour savoir quelles structures avaient le plus besoin de soutien pendant ces périodes difficiles, mais aussi pour apporter de la visibilité à ces acteurs souvent négligés.

Les galeries de la communauté noire permettent de mettre en lumière principalement des œuvres de celle-ci, et constituent un canal de choix pour ce mouvement. Parmi celles-ci on peut compter la Ground Floor Gallery à New-York, Addis Fine Art à Londres ou encore (S)ITOR à Paris. Ces galeries favorisent également la libre expression des artistes, en se débarrassant des a priori pour laisser une plus grande liberté artistique. De plus l’objectif de ces galeries est bien souvent d’accompagner les membres de la communauté noire pour favoriser une approche décomplexée du monde artistique, parfois jugé inaccessible et élitiste.

Finalement, la communauté noire fait énormément pour ses ressortissants artistes et sa culture à travers les galeries. Au-delà de leur mise en lumière de voix souvent tues par la société, elles  contribuent à la diversité du monde de l’art et au combat contre le racisme. C’est pour cela qu’elles sont absolument nécessaires aujourd’hui. Elles permettent de mettre en valeur des artistes et talents, bien présents mais dans l’ombre, pour qu'ils ne soient pas oubliés et effacés de l’histoire comme dans le passé.

L'exposition "Basquiat : Defacement" au Guggenheim, sous le commissariat de Chaédria LaBouvier.

© Eddie Lee/Hypebeast

Au travers d’expositions mais aussi de participations à des foires, elles contribuent ainsi à faire évoluer les mentalités. Malgré la crise sanitaire, ces galeries ont proposé de nouvelles alternatives pour continuer à remplir leur mission. Par exemple, de nombreuses galeries ont mis en place des expositions digitales, comme « Am I Next? », de Christopher Cook à la Welancora Gallery, ou « dis/contented reality », avec Sophia Azoige, Samuel Dallé, Àrà Deide, Amarch Odimba et Kaylyn Webster, sur le site d’Urevbu Contemporary.

Des jeunes entrepreneurs ont carrément inventé une plateforme d’exposition innovatrice en réalité virtuelle auxquelles les galeries peuvent souscrire. Une autre solution déjà bien maîtrisée par ces nouveaux acteurs est la vente en ligne d’art, par exemple grâce à Artsper qui a enregistré plus de 50 œuvres vendues par jour dès les premiers mois de l'année.

III. Les collectionneurs

La troisième composante du monde de l’art, de l’autre côté du circuit habituel des œuvres d’art, est représentée par les collectionneurs. Ceux-ci achètent généralement aux galeries, parfois directement aux artistes, en passant par la vente en physique, internet ou les foires.

Si la représentation des artistes noirs sur le marché de l'art actuel est en hausse, c’est principalement grâce aux collectionneurs noirs. La relation que ces derniers entretiennent entre eux, leur volonté d’utiliser l’art comme catalyseur du développement d’une communauté et leurs achats d’œuvres sont aussi nécessaires que la création des œuvres d’art en elles-mêmes.

Cela peut sembler évident, mais ce sont bien les collectionneurs qui injectent de l’argent dans le système du monde de l’art en achetant des œuvres. Sans cette entrée de capitaux, un marché ne fonctionne pas ! La confrontation de l’offre et de la demande détermine cet équilibre. Un modèle dans lequel l’offre est abondante mais la demande ne suit pas n’est rien. Le ratio entre ces deux variables permet de fixer les prix. Plus on aura de collectionneurs, plus la demande sera forte, plus les artistes seront cotés sur le marché de l’art, plus ils obtiendront de la visibilité, et plus le marché sera riche d’œuvres d’artistes noirs. C’est un cercle vertueux, qu’il est important d’entretenir pour contribuer à la qualité et diversité du marché en général.

Et chacun peut y contribuer. Les galeries, en poursuivant leur rôle de présenter l’art de la communauté noire aux gens qui n’y sont pas forcément sensibles, permettent de faire l’éducation artistique des futurs collectionneurs. Plus il y aura de galeries avec cet objectif, plus il y aura de collectionneurs et d’amateurs sur le marché, qu’ils soient eux-mêmes issus de la communauté noire ou non. Grâce à ces derniers, la cote des artistes augmente et l'ensemble en bénéficie.

En conclusion ?

Artistes, galeries, collectionneurs : tous les acteurs sont liés les uns aux autres, entraînant une émulation certaine. Les galeries ne sont rien sans leurs artistes et leurs acheteurs, les collectionneurs ne sont rien sans les talents et leurs intermédiaires, et les artistes ne sont rien sans leurs promoteurs et les passionnés. Une seule variable manque dans l’équation et tout le système se retrouve enrayé. La nature des choses et l’évolution de la société actuelle nous poussent vers une inclusion croissante de toutes les minorités. Il est indispensable de reconnaître que la scène artistique n’est pas complète sans la culture noire et nécessaire de la valoriser en favorisant sa collection et sa diffusion.

Ainsi, la communauté noire enrichit de façon significative le monde de l’art, et cette année 2021 a vu les différents acteurs se mobiliser dans ce but. Les artistes injectent de plus en plus cette culture dans leurs œuvres, les galeristes - et Artsper ! - la diffusent à leur tour et les collectionneurs la font connaître à travers le monde. Un état d'esprit à conserver à tous les niveaux pour 2022 !